La jungle des agences de placement temporaire
Il y a trois ans, Vivian Medina, 38 ans, a quitté le Mexique pour s’établir au Québec. Pour se trouver rapidement un emploi, elle s’est tournée vers des agences de placement temporaire. Ses conditions de travail ne ressemblaient en rien à ce qu’elle était en droit d’obtenir. «On travaillait comme des animaux», raconte-t-elle. Salaire inférieur au minimum permis, journées de travail de 21 heures sans compensation pour les heures supplémentaires, et un travail généralement payé au noir. «Si tu montres des papiers et un numéro d’assurance sociale, on te dit: “non, non, ici, c’est en dessous de la table”», raconte la femme.
Les agences illégales comme celles qui ont employé Mme Medina peuvent fermer du jour au lendemain, sans laisser de traces, et parfois sans payer leurs employés. «Ces agences emploient surtout des immigrants, explique Aadi Ndir, du Centre des travailleuses et travailleurs immigrants (CTI), qui est lui-même passé par là. Elles savent qu’ils sont souvent illégaux. Ils parlent mal la langue, ils n’ont pas d’expérience de travail canadienne et ils connaissent mal leurs droits. Ils portent rarement plainte.»
C’est pour mettre fin à de telles pratiques que l’organisme de défense des travailleurs non syndiqués Au bas de l’échelle (ABE) et le CTI ont lancé une campagne de sensibilisation pour la protection des droits des travailleurs d’agence. «Il faut que le gouvernement encadre les agences de placement temporaire», déclare Carole Henry, porte-parole d’ABE. Hier, les deux organismes ont organisé un rassemblement devant les bureaux de la ministre du Travail, Lise Thériault, au centre-ville de Montréal. Ils lui ont transmis une pétition endossée par 175 organismes québécois. Les centrales syndicales, ainsi que le parti Québec solidaire, appuient leurs revendications. Cette manifestation s’inscrivait dans le cadre de la Journée mondiale pour le travail décent, lors de laquelle plus de 400 actions ont eu lieu dans 70 pays, pour dénoncer le travail précaire.
Les agences légales aussi visées
En 2008, on dénombrait 1200 agences de placement temporaire au Québec, dont le total des revenus dépassait 1 milliard de dollars. Ces agences fournissent des employés à des entreprises dans plusieurs domaines: manufactures, usines, entretien ménager, cueillette de fruits, etc. Selon Mme Henry, le recours aux travailleurs temporaires est en croissance au Québec. «Les entreprises remplacent des postes permanents syndiqués par des postes temporaires pour éviter de payer des avantages sociaux», affirme-t-elle.
Les agences illégales ne sont pas les seules visées par la campagne d’ABE et du CTI. Mme Henry explique que plusieurs agences légales — qui respectent le salaire minimum et ne paient pas au noir — contournent aussi les normes du travail. «Souvent, ce n’est pas clair qui est l’employeur entre l’agence et l’entreprise, explique Mme Henry. Selon qui est considéré comme l’employeur, l’employé aura des droits ou non.» La présidente d’ABE cite en exemple les difficultés à se faire payer les heures supplémentaires. «Si l’agence est l’employeur, elle peut dire qu’elle n’a jamais autorisé les heures supplémentaires et refuser de payer.» À la Commission des normes du travail, le porte-parole, Jean-François Pelchat, admet qu’il n’est pas toujours simple d’établir qui est le véritable employeur. «On y va au cas par cas», dit-il, en précisant que «les normes minimales doivent toujours être respectées».
Mme Henry reproche aussi à certaines agences de procéder à des congédiements déguisés. Selon elle, si un travailleur porte plainte, ou encore si une femme tombe enceinte, l’agence peut cesser de l’employer sans le congédier formellement. «On va simplement lui dire, on n’a pas d’affectation pour toi, et ça peut durer des mois», dit la présidente d’ABE. M. Pelchat confirme qu’il est «difficile» pour un travailleur temporaire d’exercer un recours dans ce genre de situation.
Suivre l’exemple des autres provinces
L’organisme Au bas de l’échelle adresse deux revendications au ministère du Travail: l’établissement d’un principe de coresponsabilité entre les agences de placement et leurs entreprises clientes, ainsi que l’obligation pour les agences de se procurer un permis d’opération, qui doit être renouvelé annuellement. Plusieurs provinces et territoires canadiens appliquent déjà de telles mesures. Pour obtenir un permis, ces agences doivent notamment fournir une garantie de solvabilité, un registre des employés et des entreprises clientes, la liste des affectations et des rémunérations versées, et un exemplaire du contrat d’embauche des travailleurs temporaires. Les entreprises qui enfreignent les règlements s’exposent à des pénalités pouvant atteindre 50 000 $.
Les représentants d’Au bas de l’échelle ont rencontré le ministère du Travail à quelques reprises depuis 2005. Le ministère attend les recommandations du Comité consultatif du travail et de la main-d’oeuvre avant de prendre des mesures.
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