Août 07

Immigrants : exploités, puis abandonnés

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Par Kader Belaouni

Ces derniers jours, le chef du Parti québécois a tenu des propos troublants en associant immigration et criminalité — une stratégie bien connue de l’extrême droite visant à construire l’image de l’immigrant comme une menace, afin de justifier son exclusion et sa criminalisation. Pourtant, les faits sont clairs : les personnes immigrantes ne commettent pas plus de crimes que les natifs du pays. Au contraire, plusieurs études démontrent que les taux de criminalité tendent à diminuer dans les quartiers où elles s’installent. Mais les faits comptent peu lorsque le véritable objectif est de nourrir la peur.

Ce type de discours remplit une fonction politique précise : banaliser la criminalisation de la migration. En entretenant l’imaginaire du danger, on finit par rendre acceptables des pratiques graves comme la détention de personnes migrantes sans inculpation, uniquement à cause de leur statut. Nommer cette instrumentalisation est une urgence, surtout dans un contexte où les vents d’extrême droite soufflent de plus en plus fort. Ce n’est pas qu’une question électorale : créer un ennemi intérieur, c’est préparer le terrain à un recul généralisé des droits, pour les migrants comme pour tous ceux qui deviennent, un jour ou l’autre, “de trop” aux yeux du pouvoir dominant.

Aujourd’hui, l’immigration est devenue un ballon politique, que se renvoient les politiciens en quête de victoires faciles, pendant que des êtres humains paient le prix fort. Ce mois-ci, un groupe de 23 employeurs québécois a déposé une poursuite de 300 millions $ contre le gouvernement fédéral, affirmant qu’ils risquent la faillite si Ottawa va de l’avant avec sa réduction du nombre de travailleurs étrangers temporaires. Cette affaire révèle le fossé brutal entre la rhétorique politique et la réalité économique.

Mais derrière les manchettes, se cache une tragédie plus discrète, celle de rêves brisés, de familles séparées, de promesses trahies.

Les migrants sont devenus les boucs émissaires idéaux des politiciens. Allumez la télé, lisez n’importe quel journal : les chefs rivalisent de sévérité envers les immigrants. Cette surenchère est une course vers le bas, où celui qui frappe le plus fort gagne l’attention des médias. Ce n’est plus de la gouvernance — c’est du théâtre. Un théâtre cruel, monté sur le dos des plus vulnérables.

Pour nous, les personnes immigrantes, voir ce spectacle est aussi révoltant que déchirant. Nous sommes accusés de tous les maux : crise du logement, chômage, inflation — alors que nos contributions sont ignorées. Ironie cruelle dans un pays construit par des immigrants, qui traite désormais l’immigration comme un problème.

Pendant la pandémie, le gouvernement fédéral a élargi le programme des travailleurs étrangers temporaires pour combler la pénurie de main-d’œuvre. Mais en août 2024, sous pression politique, Ottawa a fait volte-face et imposé des restrictions sévères. Cela inclut l’arrêt des EIMT dans les zones où le taux de chômage dépasse 6 %, et la réduction des contrats de deux ans à un an.

Ce ne sont pas de simples décisions administratives. Ce sont des changements de vie. Des personnes ont payé 16 000 à 20 000 dollars pour venir ici — en vendant tout, en s’endettant, en espérant un avenir. Quelques mois plus tard, ils sont licenciés, ruinés, bloqués.

Les mariages se brisent. Certains dorment dans la rue. D’autres sont piégés — ni assez d’argent pour rester, ni pour repartir. Le coût humain est immense.

Ces personnes ne sont pas des statistiques. Ce sont des hommes, des femmes, des familles, qui ont cru aux promesses du Canada et se retrouvent abandonnés.

Les entreprises québécoises qui poursuivent le gouvernement ne cherchent pas le profit, elles cherchent à survivre. Elles ont embauché selon les règles en vigueur, formé des travailleurs, investi du temps et de l’argent. Leurs projets se voient sabotés du jour au lendemain.

Et pendant ce temps, le système échoue à protéger les travailleurs qu’il attire. Les permis fermés les rendent vulnérables aux abus. Ce système n’est pas fondé sur la dignité, mais sur le contrôle.

Le gouvernement aurait dû mettre en place une régulation rigoureuse, pas une fermeture brutale. Des normes claires, des inspections, des sanctions — voilà ce qu’il fallait. Pas des restrictions aveugles.

Une vraie réforme commencerait par changer de perspective. Il faut cesser de voir les migrants comme un fardeau, et les reconnaître comme des personnes. Cela implique :

  • Exiger des employeurs des conditions équitables.

  • Permettre aux travailleurs d’avoir des permis ouverts.

  • Donner des informations claires et honnêtes.

  • Offrir de la stabilité à ceux qui ont tout sacrifié pour venir ici.

L’immigration n’est pas un robinet que l’on ouvre et ferme au gré des élections. Ce sont des vies humaines. Des rêves, des compétences, des familles. Quand on transforme l’immigration en problème politique, on échoue — envers les migrants et envers nous-mêmes.

La poursuite en justice au Québec n’est qu’un symptôme d’un mal plus profond : une classe politique qui préfère les effets d’annonce au courage de gouverner. Pendant qu’ils jouent la comédie, des gens souffrent en silence.

Le Canada a toujours été plus fort lorsqu’il a ouvert ses bras. Nous avons construit ce pays ensemble. Il est temps de revenir à cet esprit d’accueil, de respect et de justice.

Il faut choisir : continuer dans le théâtre politique et la tragédie humaine, ou exiger mieux. Ceux qui ont payé 20 000 $ pour une chance de vivre méritent plus que des promesses vides. Ils méritent la dignité. Ils méritent le Canada auquel ils ont cru.

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