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Nov 28

Les travailleurs agricoles ne méritent pas notre respect

par Pierre-Louis Fortin-Legris

Il est un lieu commun qui veut que le marché du travail soit un mutant. Transformations par-ci, mutations par-là. Le milieu agricole n’y échappe pas. Nos cornichons viennent d’Inde et nos terres sont labourées par des Guatémaltèques de passage qui, tels des cornichons, n’ont pas le droit de s’organiser collectivement.

Depuis quelques années, les conditions de vie des travailleurs agricoles saisonniers font l’objet d’une attention soutenue de la part de groupes de défense des droits et de certains syndicats [1]. Des campagnes d’information sur les droits des travailleurs et des travailleuses ont été menées avec les moyens du bord, pour permettre aux employées agricoles d’avoir accès aux régimes de protection sociale : assurance-emploi, CSST, etc. Une fois ce travail bien enclenché, la suite logique était d’institutionnaliser le rétablissement du rapport de force, de créer des syndicats pour les travailleurs temporaires migrants. C’était sans compter la flexibilité de nos lois du travail…

Rejet des demandes d’accréditation

Les requêtes pour faire reconnaître les nouveaux syndicats de deux fermes et une serre ont été déposées par les Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) à la Commission des relations de travail. Les employeurs ont contesté. Parmi le feu d’artifice d’arguments présentés pour empêcher leurs employées de s’organiser collectivement, les employeurs ont convaincu le commissaire Marc Denis que le Code du travail ne permettait pas aux employés de ferme qui ne sont pas employés à l’année longue de former un syndicat [2]. Le texte du Code du travail dit que « les personnes employées à l’exploitation d’une ferme ne sont pas réputées être des salariés [syndicables], à moins qu’elles n’y soient ordinairement et continuellement employées au nombre minimal de trois ». Le hic, c’est que les employés temporaires migrants doivent, en vertu de l’entente signée entre le Canada et le pays d’origine, avoir quitté le pays avant le 15 décembre de chaque année, pour être réengagés l’année suivante. À moins que le fermier ne soit aussi producteur de jus de carotte de glace, il n’a pas besoin d’employées l’hiver, migrantes ou non. Il est logique qu’il n’emploie donc personne durant l’hiver. Par contre, le caractère saisonnier du travail effectué est sans lien avec l’exercice de la liberté d’association. À ce compte, les stations de ski, La Ronde et plusieurs entreprises touristiques seraient soustraites du régime de négociation collective, ce qui serait injustifiable.

Et la liberté d’association ?

Cette froide application de la loi a quelque chose de révoltant. D’un point de vue juridique, elle est aussi surprenante, considérant certaines décisions majeures rendues par la Cour suprême sur la question de l’exclusion de certaines catégories de travailleurs. En 2001, la Cour suprême a, pour la première fois, imposé à l’État ontarien de mettre sur pied un régime juridique qui permette aux travailleurs et travailleuses agricoles de s’organiser [3]. La Cour n’a pas seulement affirmé que l’État ne devait pas entraver l’exercice de la liberté d’association, elle a ajouté que l’État avait une obligation positive de permettre l’exercice des droits fondamentaux dans le domaine du travail. Évidemment, l’injustice des obstacles à la syndicalisation du milieu agricole n’est pas particulière aux travailleurs temporaires migrants. Elle semble parfois encore plus criante lorsqu’on apprend les conditions de vie et de travail dans les fermes québécoises qui emploient des migrantes. Et les patates à 1 $ le sac de 10 lbs sont ensuite un peu plus pâteuses en bouche.

Pierre-Louis Fortin-Legris